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L’autre – et si la minorité était révélée à la majorité ?

Nous sommes construits d’hybridité ; d’histoires de migrations, de fleuves rebelles qui se jettent, puis qui enlacent des mers.  

Nos langues sont hétéroclites, nous les chantonnons entre continents, défiant les géométries de nos différences.  

Nous ne sommes pas les mêmes. Et, si c’était le cas, ça aurait été bien plat.  

En revanche, il existe des rapports de domination qui se nourrissent de ces différences et qui ne doivent pas être négligés. Des mots tels que sexisme, racisme, capacitisme, inventés par ces mêmes langues qui savent rassembler, revêtent des réalités qui expliquent l’exclusion de ceux et celles qui sont en position minoritaires. Nous procédons à une hiérarchisation des attributs tant physiques, que mentaux, qui construit, selon moi, ce qu’il y’a de plus dangereux dans le développement d’une personne.  

Et, le plus vicieux, c’est que ces attributs n’ont pas besoin d’être négatifs afin de construire « l’autre ». Comme le dit brillamment Tessa Mcwhatt dans Anatomie de ma honte :  

« Quand on s’acharne à percevoir d’autres corps comme extraordinaires, on fait d’eux, encore et toujours, des corps d’autres » (Mcwhatt, 2021). 

Nous pouvons construire un « autre » dès l’instant où nous laissons s’infiltrer le « hors-norme ». Nous matérialisons des corps étrangers au travers de concepts tels que la fétichisation, l’exotisation, ou l’objectification. Des concepts qui ont en commun l’expression de l’altérité. L’« autre » qui ne fait pas partie du groupe majoritaire, qui peut être adulé, comme repoussé, observé de lunettes externes, comme figé dans le panoptique d’un laboratoire. 

Par exemple, les corps de personnes noires sont souvent représentés dans l’imaginaire social dominant, comme des corps vigoureux, sportifs, bâtis, résilients. Des qualitatifs qui sont élogieux, voire positifs, mais qui impliquent aussi que ce sont des corps qui sont capables de surmonter. Dès lors, n’est-ce pas là, une ouverture à une surexploitation de ces derniers ? 

Par ailleurs, dans son mémoire sur Le vécu des femmes québécoises qui subissent du racisme anti-asiatique, Julie Quynh Nhi Tran explique avec brio, comment certains stéréotypes attribués aux personnes issues des communautés asiatiques, quoique présentées comme « positifs » nuisent tout autant à ces communautés.  

C’est le cas du stéréotype de la « minorité modèle ».  

En effet, en perpétuant l’image de cette minorité travaillante, docile, intelligente, respectueuse, Tran expose les travaux de plusieurs chercheurs qui dénoncent la problématique autour de ce stéréotype qui finalement opprime. Parce qu’en instrumentalisant les réussites de manière excessive de la communauté́ asiatique, ce stéréotype invisibilise des enjeux au sein de cette communauté. On peut penser ici à la pauvreté́, le racisme, le logement, l’emploi, la sexualité́, la barrière de langue et les conflits intrafamiliaux.   

Ainsi, selon moi, le problème ne réside pas au creux de nos différences, mais plutôt à cette menace que l’autre non seulement différent, mais extraordinaire arriverait à faire s’il se réappropriait toutes les facettes de son identité. Si les « autres » n’étaient plus circonscrits à quelques adjectifs réducteurs forçant par la suite l’internalisation de certains traits au détriment d’autres, continueraient-ils à être minoritaires ? 

Si, finalement, les autres étaient représentés comme iels sont véritablement. C’est-à-dire dans leur entièreté, authenticité sans être objectifiés. Qu’adviendrait-il de la majorité ? 

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Fatima Terhini se décrit comme une artiviste principalement préoccupée par les questions féministes, antiracistes et décoloniales. Ces textes sont empreints de la magie des histoires racontées par les femmes qui l’ont précédées. Son diplôme en psychosociologie et son expérience dans le milieu communautaire attestent de sa curiosité et son amour insatiables pour les humain.e.s, les être vivant.e.s et bien évidemment les faits sociaux.  

LEXIQUE 

Altérité : Caractère de ce qui est autre (Dictionnaire Larousse) 

Capacitisme: Le « capacitisme » fait référence à des attitudes sociétales qui dévalorisent et limitent le potentiel des personnes vivant avec un handicap (Wikipédia) 

Exotisation: L’exotisation peut être définie par un changement de contexte par lequel, l’objet exotisé est mis à disposition (de lointain il devient proche) et qui construit son étrangeté (Staszak, 2008) 

Fétichisation: Attribuer à quelqu’un, à quelque chose une existence ou un pouvoir quasi magique, les respecter de façon excessive (Dictionnaire, Le Robert) 

Instrumentalisation : Fait de considérer (qqn, qqch.) comme un instrument, de considérer l’aspect utilitaire (Dictionnaire, Le Robert) 

Internalisation : En sociologie et autres sciences sociales, l’internalisation se définit par l’acceptation par un individu d’un ensemble de normes et de valeurs (établies par d’autres) à travers la socialisation. On dit que les normes intériorisées font partie de la personnalité d’un individu et peuvent être manifestées par ses actions morales. Via : ( doi: https://supportivy.com/quelle-est-la-signification-de-linteriorisation/) 

Objectification : En philosophie sociale, l’objectification est le fait de traiter une personne, ou, parfois, un animal, comme un objet ou une chose. (Wikipédia) 

Racisme: Idéologie postulant une hiérarchie des races (Dictionnaire Le Robert) 

Rapports de domination : Le produit d’un travail incessant de reproduction auquel contribuent les différents agents en position dominante […] Les dominants selon les groupes sociaux, ethnies, sexes, imposent leurs valeurs aux dominés (Fournier, 2006) 

Sexisme: Le sexisme est une discrimination fondée sur le sexe, ou, par extension, sur le genre d’une personne. Le sexisme est lié aux préjugés et au concept de stéréotype et de rôle de genre, pouvant comprendre la croyance qu’un sexe ou qu’un genre serait intrinsèquement supérieur à l’autre (Wikipédia) 

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